L’entreprise aura bientôt d’autres objectifs que le profit, si elle le veut bien – Mars 2018

Les propositions du patron de Michelin et de la fondatrice de Vigeo doivent alimenter la loi Pacte, portée par Bruno Le Maire. Pas de chamboule-tout à l’horizon. Comment concilier l’entreprise avec l’intérêt général? C’est avec cette lettre de mission ambitieuse que Jean-Dominique Sénard, président de Michelin, et Nicole Notat, à la tête de l’entreprise de notation extra-financière Vigéo, se sont attelés, depuis mi-janvier, à la rédaction de recommandations. Ils viennent de rendre leur rapport au gouvernement le 9 mars. 

Publié sur : l’Express

Les mesures qu’ils préconisent ne sont pas anodines. Mais elles n’amorcent pas le grand chamboule-tout que certains auraient pu espérer, pour s’extraire de la logique court-termiste dictée par les actionnaires.  

Une modification du code civil

Première des propositions, ajouter un alinéa à l’article 1833 du code civil. Il stipulerait que « la société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) fait ainsi son entrée dans le code civil, s’appliquant théoriquement à toutes les entreprises.  

Concernant la notion « d’intérêt propre », les auteurs du rapport considèrent visiblement qu’elle suffit à garantir que les intérêts des associés ne soient pas les seuls à être pris en compte. La formulation a été longuement débattue, et soumise à l’interprétation de professeurs de droit et à « l’autorité judiciaire », a tenu à préciser Jean-Dominique Sénard.  

Priorité a ainsi été donnée à la sécurité juridique. Point de notion de « parties prenantes » dans les termes choisis, par exemple. Les organisations patronales avaient rapidement exprimé leurs craintes à ce sujet. Ils redoutaient que ne s’ouvre une boîte de pandhore et que des salariés, fournisseurs, consommateurs, ONG… se mettent en masse à porter plainte contre des dirigeants pour faute de gestion ou abus de biens sociaux.  

Un changement dans le code du commerce

Seconde indication de Jean-Dominique Sénard et Nicole Notat, inscrire dans le code du commerce le fait que « le conseil d’administration détermine les orientations de l’activité de la société en référence à la raison d’être de l’entreprise et veille à leur mise en oeuvre, conformément à l’article 1833 du code civil. » Cela implique que les entreprises se dotent d’une « raison d’être », à l’instar de qu’a fait… Michelin (« Offrir à chacun la meilleure façon d’avancer »). « Ce concept de ‘raison d’être’, nous y tenons beaucoup car c’est l’ADN de l’entreprise, et ce qui crée l’engagement des équipes », insiste le dirigeant du groupe de production de pneus.  

Il était question par ailleurs de voir comment, au-delà du label « B Corp » (un label mondial d’économie responsable), développer dans l’hexagone « l’entreprise à mission », qui revient à se doter d’objectifs autres que faire du profit. Il a été retenu de ne pas créer de statut particulier. Les « entreprises à mission » à la française seraient les entreprises décidant de carrément inscrire leur « raison d’être » dans leurs statuts. Elles auraient alors certaines obligations comme se doter d’un « comité des parties prenantes » (vérifiant l’application de la mission) ou effectuer une déclaration de performance extra-financière. 

Le fait d’inscrire la raison d’être dans les statuts rendrait la nécessité de poursuivre des objectifs sociaux ou environnementaux opposables aux tiers, et notamment aux actionnaires. Sachant que les organes de direction conserverait la possibilité de revoir les statuts. Une entreprise à mission ne le serait donc pas forcément ad vitam.  

Pour les PME qui souhaiteraient s’engager particulièrement dans la RSE, le rapport encourage la création de labels RSE sectoriels dans les branches professionnelles. C’est précisément ce que tendent à mettre en place les partenaires sociaux (excepté le Medef qui a refusé de se joindre aux travaux), sous l’impulsion de la CPME.  

Pas de salariés administrateurs en dessous du seuil de 1000

Côté gouvernance, les auteurs suggèrent de minces avancées: pas question, comme le voudrait la CFDT, d’abaisser le seuil de 1000 collaborateurs à partir duquel il doit y avoir des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance. À peine introduisent-ils un peu plus de proportionnalité, avec trois administrateurs salariés quand le conseil compte au moins 16 membres. Ils suggèrent un bilan dans 12 à 24 mois, pour décider, alors, d’une éventuelle montée en puissance du dispositif.  

Les recommandations du rapport Sénard-Notat ont vocation, si le gouvernement décide de les retenir, à figurer dans le projet de loi Pacte prévu pour le 18 avril.