Entreprise à mission : un autre modèle est possible – Janvier 2018

Plutôt que de transposer dans le droit français l’entreprise à mission américaine, inventons notre propre statut juridique : la société à objet social étendu, dont la vision est plus large et plus libre.

Errol Cohen – Publié sur : Les Echos

Le gouvernement a lancé le 5 janvier des travaux sur l’entreprise et le bien commun afin d’envisager des mesures législatives instaurant une nouvelle conception de l’entreprise ainsi que des formes de sociétés commerciales ayant des missions spécifiques.

Cette réflexion sur ce projet de réforme a été largement commentée, mais l’attention s’est surtout portée sur les modifications du Code civil et notamment de l’article 1.833. Cet article, qui restreint l’objectif de l’entreprise au seul intérêt des associés, pourrait bientôt reconnaître les intérêts légitimes d’autres parties prenantes. Certes, toucher au Code civil a une grande portée symbolique, et comme le Medef s’oppose à une telle mesure, cet aspect de la réforme fait réagir.

En revanche, peu de commentaires ont souligné l’intérêt d’introduire dans le droit, un statut de « société à mission ». Ce concept récent (Kevin Levillain, « Les sociétés à mission », 2017) désigne les sociétés dont les associés fixent volontairement (à la majorité qualifiée), en plus de leur objet social, une mission autre et complémentaire du partage des bénéfices. Cette mission doit alors guider la gouvernance et l’évaluation de la gestion de l’entreprise.

Une vision moins restrictive

Offrir le choix de combiner un capitalisme à but lucratif et un capitalisme à mission est une véritable révolution qui répond aux attentes des entreprises. A cet égard, on restreint à tort, l’idée de mission à la seule responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise (RSE) alors qu’elle va bien au-delà. Cela vient de la confusion avec par exemple les « benefit corporations » américaines qui se voient imposer par une agence de notation (B-lab) des indicateurs de mission très proches de la RSE.

De plus, sur la foi de ces seuls indicateurs, certaines entreprises en France se limiteraient à obtenir le label de « B corps », sans pour autant changer leur objet social, ce qui vide la mission de sa substance même.

La proposition de société à objet social étendu (SOSE), qui est née de la recherche française, développe, elle, une conception de la mission plus large et plus libre, tout en visant un impact fort sur la gouvernance de l’entreprise. Elle est née d’une réflexion – à laquelle j’ai participé – menée par le Collège des Bernardins et Mines Paris Tech.

Dans ce nouveau modèle de société, les dirigeants bénéficient toujours d’une réelle latitude et de pouvoirs étendus, mais ils doivent accomplir une mission – en droit, un « objet social étendu » – à laquelle adhèrent les parties engagées dans l’entreprise (les actionnaires, les salariés, les dirigeants.

Libérer les énergies

Cette conception de la société à mission est à la fois créatrice de sens collectif et porteuse d’une puissante libération des énergies. D’abord, la direction de l’entreprise n’est plus soumise au seul diktat de l’intérêt des actionnaires, actuels ou futurs, et notamment d’investisseurs activistes désireux de réaliser un profit maximal à court terme.

Au-delà de la RSE, la mission permet de définir et de pérenniser un projet d’entreprise, de stabiliser des activités de recherche, de soutenir des efforts constants d’innovation : que serait Apple s’il avait choisi de distribuer des dividendes, au lieu de multiplier les innovations de rupture ?

Dans tous les secteurs d’activité, de nombreux entrepreneurs y compris ceux qui sont actionnaires majoritaires, souhaitent disposer d’un outil juridique simple comme la SOSE leur permettant de créer un climat de confiance crédible et la prise en compte des parties prenantes de l’entreprise (personnels, fournisseurs, clients et collectivités territoriales).

L’ingénierie juridique et gestionnaire de la SOSE permet notamment de régler sereinement les successions d’entreprises (en empêchant un acquéreur de détourner l’entreprise de la mission voulue par son fondateur) ou une mutation énergétique ambitieuse. Elle permet d’attirer vers l’entreprise les nouvelles générations dont toutes les enquêtes nous disent qu’ils souhaitent un travail qui fasse sens et soit conforme à leurs valeurs.

La réalité de ces sociétés à mission, dont l’emblème français le plus fort est la SOSE, intéresse un grand nombre d’entreprises. Son formidable potentiel le distingue du modèle américain des B corps. Il faut donc en parler et en débattre autant que des modifications de la définition de la société dans le Code civil et que le gouvernement s’en saisisse pour faire adopter la société à objet social étendu ».

Errol Cohen est avocat (cabinet LePlay)

 
 

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